Revue de Presse : 19 janvier
La revue Dissent consacre son dernier numéro à la question de « la démocratie et le barbarisme », réinterprétant la fameuse phrase de Rosa Luxembourg (« socialisme ou barbarisme ») à l’âge des néo-nationalismes et des catastrophes climatiques. Editeur de ce numéro spécial, le juriste écologiste Jedediah Purdy définit le barbarisme comme « un système qui transforme des gens en ennemis et oppresseurs les uns des autres … qui les plonge dans l’obscurité et qui leur en donne aucune issue ». Les articles suivant s’interrogent sur comment les Américains pourraient mobiliser la politique démocratique pour reprendre le pouvoir (Bill Fletcher, Jr.), articuler une écologie politique démocratique (J. Purdy et Alyssa Battistoni), et en finir avec la « juristocratie » (Samuel Moyn).
Dans le Chronicle of Higher Education, David Sessions explique comment les universités américaines ont progressivement absorbé les idées des libertariens radicaux. La droite ultra-libérale actuelle fustige des universités décadentes, qui consomment de vastes ressources publiques tout en enseignant des matières socialement « inutiles ». Pour les disciples de l’économiste James Buchanan, un système d’éducation supérieure n’existe pas pour offrir de l’enseignement au plus grand nombre possible – seulement pour faire payer ceux qui en profitent pour augmenter leur « capital humain ». L’ironie de ces critiques libertariennes, pour Sessions, c’est que l’université contemporaine qu’ils dénoncent est largement déjà celle dont Buchanan rêvait : une institution qui transforme l’enseignement en une commodité dont la consommation se paie par l’endettement à vie des anciens étudiants. Pour en lire plus sur l’université et la démocratie, retrouvez ici notre série sur ces questions.
Bernard Harcourt, que nous avons interrogé l’année dernière à propos du néolibéralisme et la police, a récemment donné un entretien à AOC à propos du nouveau monde numérique. Les nouvelles technologies aident à la surveillance gouvernementale, mais aussi parviennent à transformer notre subjectivité en nous privant de repères stables pour chercher l’information, ce qui nous pousse vers des bulles médiatique comme Fox News ou MSNBC. Selon Harcourt, on ne peut pas revenir en arrière, mais il faut changer la logique du numérique, par exemple celle de l’exploitation commerciale. Il faut aussi faire attention à l’appropriation gouvernementale, car les technologies qui permettent aux manifestants de se rassembler permettent aussi aux gouvernements de savoir qui manifeste.
Dana Goldstein analyse les différences entre les manuels scolaires au Texas et en Californie au cours d’un article pour le New York Times. Dans un pays déchiré par la polarisation, même l’histoire nationale est modifiée par l’idéologie. On publie même des versions différentes de chaque édition des manuels scolaires, à cause des critères que chaque état impose aux éditeurs. Par exemple, au même endroit où le manuel décrit la perspective des immigrants dans la version Californienne, il donne celle d’un garde de la patrouille frontalière dans la version Texane. De même avec les inégalités économiques et l’environnement : on retrouve cette histoire dans la version Californienne, obfusquée dans la version Texane.
Quel rôle joue le langage dans les révoltes ? Dans un interview pour Middle East Eye, Mahdi Berrached considère le derdja algérien et son importance dans le mouvement du hirak. Selon lui, le hirak est une situation complètement nouvelle, ce qui a fait que les algériens ont eu besoin de diffuser une langue indépendante de l’hégémonie francophone et arabophone. Ce nouveau langage, le derdja a déjà son propre dictionnaire du derdja, écrit par des participants du mouvement.
L’idée du grand roman américain, est-elle définitivement démodée ? Écrivant pour la revue Hedgehog, Tyler Malone réfléchit sur la question de pourquoi les Américains sont toujours captivés par l’idée d’un chef-d’œuvre littéraire capable de parler au nom de la nation. Il suggère que l’idée est toujours utile, tant que nous admettons qu’il existe de nombreux candidats dignes, et tant que l’idée du grand roman américain est constamment révisée.
Dans la New York Review of Books, l’historien Peter Gordon examine les controverses autour de l’analogie historique. Pour certains, chaque événement est unique, chaque comparaison entre le présent et le passé suspect : voir, par exemple, des polémiques sur les analogies entre les camps de détention des migrants aux Etats-Unis et les camps de concentration du Troisième Reich. Des philosophes comme Thomas Kuhn ou le jeune Michel Foucault ont été partisans de la « discontinuité », cherchant à comprendre des périodes épistémologiques distinctes. Mais pour d’autres, l’analogie n’est pas seulement une exercise fondamental de la raison humaine, mais aussi un outil indispensable de la réflexions des historiens. Gordon se situe dans ce deuxième camp, car pour qu’un impératif tel que le Never Again garde sa force morale, « il doit s’appliquer partout dans l’espace et dans le temps. En s’en interdisant toute comparaison, l’on en abolit le sens profond. »
Photo Credit: Maya-Anaïs Yataghène, Newsstand Algeria, via Wikimedia Commons, CC BY 2.0.