The ABCs of “Benjamin Constant” (Léonard Burnand)
Cette interview ABC est la quatrième — mais la première publiée en français — sur notre site. D’autres interviews dans cette série comprennent The Politics of Imperial Memory in France, 1850-1900 par Christina B. Carroll, Dividing Paris: Urban Renewal and Social Inequality, 1852–1870 par Ester da Costa Meyer et Worker Democracies: Managing Inequality in Worker Cooperatives par Joan S. M. Meyers.
Nous posons trois questions à chaque auteur :
- sur leur trajectoire professionnelle (A = Auteur),
- sur le sujet du livre (B = Bouquin)
- sur l’intervention du livre (C = Contexte)
Dans cette interview, nous posons ces trois questions à Léonard Burnand sur sa biographie intellectuelle de Benjamin Constant (Perrin, 2022).
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AUTEUR
T21 : Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ce livre ?
Léonard Burnand : En tant que Directeur de l’Institut Benjamin Constant – un centre de recherche situé à l’Université de Lausanne – je travaille depuis de nombreuses années sur l’écrivain et homme politique Benjamin Constant (1767-1830), en participant notamment à l’édition de ses Œuvres complètes (Berlin : De Gruyter) et en dirigeant la revue internationale Annales Benjamin Constant. Je suis également un spécialiste de Jacques Necker et Germaine de Staël, auxquels j’ai consacré plusieurs ouvrages et articles. Aux côtés de Madame de Staël, Benjamin Constant fut une figure centrale du Groupe de Coppet, un cercle d’intellectuels qui a joué un rôle prépondérant dans la vie culturelle de l’Europe du tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Benjamin Constant fut un précurseur du romantisme, comme en témoigne son célèbre roman Adolphe, mais aussi un pionnier du libéralisme : il s’est imposé comme l’un des principaux défenseurs des libertés fondamentales de l’individu face à l’autoritarisme et aux abus de pouvoir, comme l’attestent ses Principes de politique ou son discours De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes. Sa contribution à l’élaboration du libéralisme politique est considérable ; et pourtant sa place reste discrète dans l’historiographie et dans la mémoire collective : il n’occupe pas un rang à la hauteur de ses talents et de son influence. Benjamin Constant méritait donc d’être redécouvert et remis en valeur. C’est pourquoi je me suis efforcé d’écrire cette biographie, fondée sur de nombreux documents inédits, qui offre aux lecteurs un portrait vivant, accessible et largement renouvelé de ce personnage fascinant.
BOUQUIN
T21: Quelles sont les contributions majeures de ce livre ?
LB : C’est la première fois qu’un historien écrit une biographie de Benjamin Constant. Jusqu’à présent, seuls des littéraires ou des politologues s’étaient livrés à cet exercice. Ma démarche d’historien a ouvert de nouvelles perspectives, puisqu’en retraçant la vie de Constant, j’ai cherché en permanence à inscrire cet homme dans son époque, en restituant avec précision le contexte dans lequel il a évolué. Ce travail de contextualisation m’a permis de situer chaque étape de sa trajectoire dans un environnement plus large qui correspond à cette période riche en rebondissements (Révolution, Empire, Restauration). Benjamin Constant et son temps s’éclairent mutuellement : on ne peut pas comprendre le parcours et les idées de cet homme sans connaître les enjeux politiques et socioculturels du moment, d’autant que cet écrivain et député a toujours agi en fonction des circonstances, sur lesquelles il espérait exercer une influence concrète. Sa destinée sert en même temps de révélateur : à l’échelle de son itinéraire singulier, on perçoit mieux certaines caractéristiques générales de l’époque qui fut la sienne. Pour effectuer cette mise en contexte minutieuse, j’ai mené de longues recherches dans les archives, où j’ai exhumé des centaines de manuscrits inédits, qui m’ont permis d’éclairer sous un nouveau jour l’existence de Benjamin Constant. À titre d’exemple, j’ai retrouvé les lettres inédites de sa mère, ainsi que plusieurs manuscrits relatifs à son père : ces documents nous donnent une vision inattendue de l’enfance de Benjamin, et grâce à ces sources on possède désormais des clés qui nous aident à mieux comprendre son attitude ultérieure, notamment son rapport à l’ambition, aux femmes ou à l’écriture.
CONTEXTE
T21: Comment votre livre s’inscrit-il dans l’actualité ?
LB: Benjamin Constant et sa pensée sont d’une actualité frappante. Il a été l’un des plus grands défenseurs de la liberté de la presse et il a combattu toutes les formes de censure. Il a également joué un rôle important dans la lutte contre l’esclavage et la traite des Noirs, en consacrant plusieurs discours et articles retentissants à la dénonciation de ce qu’il appelait « l’infâme trafic ». D’ailleurs, plusieurs « hommes de couleur » des colonies lui ont exprimé leur sincère reconnaissance, comme le révèle une correspondance inédite que je cite dans mon livre. De plus, dans son pamphlet De l’esprit de conquête et de l’usurpation, Benjamin Constant s’est élevé contre le principe funeste de la guerre de conquête, en expliquant que la guerre est devenue « anachronique » à l’époque des Modernes, laquelle correspond à l’ère du commerce et du progrès. Constant affirme que la guerre amène à détruire son voisin, tandis que le commerce incite au contraire à préserver sa prospérité pour entrer en relation d’affaires avec lui. Les textes de Constant en faveur de la liberté d’expression et contre l’impérialisme belliciste ont évidemment une résonance particulière en ce moment. À bien des égards, Benjamin Constant est notre contemporain.
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Léonard Burnand est Directeur de l’Institut Benjamin Constant et Professeur d’histoire moderne à l’Université de Lausanne, où il est également Doyen de la Faculté des Lettres. Son livre sur Benjamin Constant a été finaliste du Prix Goncourt de la biographie 2022.
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