Interview ABC avec Monique Canto-Sperber
Cette interview est la sixième de notre série ABC publiée sur notre site. Dans chaque entretien, nous posons trois questions :
- La première sur l’intention de l’auteur (A = Auteur)
- La deuxième sur le sujet du livre (B = Bouquin)
- La troisième sur l’objectif du livre (C = Contexte)
Dans cet ABC, Monique Canto-Sperber nous parle de son nouveau livre Une école qui peut mieux faire (Albin Michel, 2022)
AUTEUR
Tocqueville 21 : Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ce livre ?
Monique Canto-Sperber : La thèse que je défends dans ce livre est qu’une autonomie accrue laissée aux établissements scolaires et aux enseignants, et plus spécifiquement l’octroi de marges de manœuvre en matière de stratégie et de moyens pédagogiques, est la première mesure à mettre en œuvre pour remédier aux insuffisances de l’école, selon un esprit d’« initiative libérale » bien ancré dans la tradition républicaine et ardemment défendu par les créateurs du système éducatif dès la fin du XIXème siècle, dans les premiers temps de la IIIe République. Je l’ai montré en rappelant l’histoire de l’idée d’autonomie au sein du système scolaire français, mais aussi en soulignant que l’éducation ne relève pas seulement de l’État, car la société y contribue en partie. On éduque les enfants pour qu’ils deviennent des individus autonomes dans le monde social où ils vont vivre et travailler, et pas seulement des citoyens français ; c’est pourquoi l’État ne peut plus être le seul responsable de l’éducation. Par ailleurs, une dernière raison a trait à la volonté de prendre un recul, historique et intellectuel, par rapport à l’institution scolaire que nous connaissons. Les données sur la manière dont ont été conduites ailleurs que chez nous des réformes d’autonomie scolaire jouent en cela un rôle décisif, c’est pourquoi j’y consacre une partie de ce livre, en dégageant pour chaque cas les facteurs d’échec et les conditions de réussite.BOUQUIN
T21 : Quelles sont les contributions majeures de ce livre ?
MCS : Plusieurs choses. D’abord, j’explique pourquoi, en dépit d’une réflexion approfondie menée à la fin du XIXème siècle sur les bienfaits de l’autonomie scolaire, en dépit aussi des vigoureux plaidoyers de ceux qui étaient alors ministres de l’Instruction publique, le principe d’autonomie fut progressivement oublié. Dans les années 1960, au moment où sont arrivés dans le système scolaire des élèves de plus en plus nombreux, où l’on construisait « un lycée par jour », le « choc démographique » a remis en selle une gestion centralisée et uniforme de l’Éducation nationale. Furent alors remisées pour un long moment les premières velléités d’autonomie dans l’organisation de l’enseignement. Ensuite, j’analyse plusieurs exemples en France et à l’étranger, en Suède, aux États-Unis, en Angleterre, où différentes formes d’autonomie ont été mises en œuvre et ont même, dans certains cas, été à l’origine de réformes d’envergure du système éducatif. Ils montrent que le fait d’accorder une large autonomie aux établissements scolaires a un effet positif sur les performances des élèves, du moins si certaines conditions sont respectées. Je montre enfin que relever le défi de l’autonomie exige d’accepter l’idée d’une diversité dans les moyens utilisés pour y parvenir à l’échelle de chaque école. Les écoles françaises sont établies dans des milieux et environnements très différents, et tenir compte de ces différences est une condition d’efficacité, permettant à chacune d’elles de dispenser à tous ses élèves une solide formation de base, premier ciment d’une société libre. C’est en ce sens que l’autonomie fondée sur l’engagement et l’initiative des enseignants et responsables d’établissement serait le levier d’une transformation pour le meilleur de l’ensemble du système scolaire. CONTEXTET21 : Comment votre livre s’inscrit-il dans l’actualité ?
MCS : Ce livre propose une réponse à la question de la réforme de l’éducation primaire et secondaire. L’autonomie scolaire que je défends dans cet ouvrage ferait que nos écoles resteraient ce qu’elles sont aujourd’hui, du moins pour l’essentiel, avec un programme national et des enseignants, fonctionnaires de l’État. Elles garderaient toutes les caractéristiques et les valeurs du système public français : elles souscriraient à des buts de formation communs, définis par l’État, et appliqueraient un calendrier scolaire uniforme. La différence majeure serait que, parmi les établissements scolaires, ceux qui le souhaitent pourraient devenir des établissements autonomes publics, dotés d’un contrat d’objectifs et de gestion conclu entre les autorités publiques et leurs responsables, un contrat beaucoup plus ambitieux que ne l’est l’actuel projet d’établissement. Les marges de manœuvre de ces établissements autonomes auraient trait à la définition d’une stratégie de moyens (groupes de classe, nombre d’élèves ou nombre de professeurs par classe, rythmes scolaires, organisation des niveaux et présentation du programme) et à une ambition pédagogique détaillée, élaborée conjointement par ses responsables et ses enseignants. Dans ces établissements d’un type nouveau, le directeur et les enseignants impliqués seraient considérés comme les leaders pédagogiques du contrat; ils seraient également en mesure de participer au recrutement de leurs collègues enseignants qui seraient candidats sur la base de ce contrat. Enfin, ces leaders pédagogiques porteraient leur projet en toute responsabilité puisqu’ils rendraient public le contrat qu’ils auraient élaboré en commun et devraient rendre compte des résultats obtenus auprès de la puissance publique. Ce que je recommande n’est donc pas un simple aménagement du système existant, auquel on adjoindrait un peu plus de concertation pédagogique et des marges de manœuvre limitées pour ce qui a trait aux programmes. Ce n’est pas non plus, en aucun cas, la création d’un nouveau type d’établissements qui, quoique publics, seraient financés au prorata du nombre des élèves qui y seraient scolarisés, par exemple à l’aide de ce qu’on appelle parfois un « chèque éducation ». C’est un établissement scolaire réactif, capable d’adaptations, responsable et fidèle aux valeurs de l’éducation républicaine.*****
Monique Canto-Sperber est universitaire, auteur de nombreux livres traduits en plusieurs langues. Elle a dirigé l’ENS et présidé PSL.
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A retrouver dans cette série :
- Jason Frank on The Democratic Sublime
- Christina B. Carroll on The Politics of Imperial Memory in France, 1850-1900
- Ester da Costa Meyer on Dividing Paris: Urban Renewal and Social Inequality, 1852–1870
- Joan S. M. Meyers on Working Democracies: Managing Inequality in Worker Cooperatives
- Léonard Burnand sur sa biographie de Benjamin Constant (en français)
- Joshua Zimmerman on his biography of Jozef Pilsudski