Revue de Presse: 17 mai

17 May 2020

La Poste est immortalisée dans le premier article de la Constitution américaine, et Tocqueville a même parcouru une partie de son voyage à travers l’Amérique dans une calèche postale. Mais la Poste ne fait que perdre de l’argent depuis quinze ans, et le coronavirus a encore détérioré sa situation financière. Casey Cep, fille d’un facteur rural, soutient dans le New Yorker qu’il faut traiter la Poste comme un service essentiel—un service qui mérite un renflouement du Congrès. Cep nous rappelle qu’en plus de la livraison du courrier, la Poste pourrait augmenter ses revenus en délivrant des permis de conduire ou de pêche, en facilitant les opérations bancaires simples, en fournissant du haut débit et en offrant des signatures de notaire—si seulement le Congrès le lui permettait.

 

Par ailleurs, la poste a devant elle plusieurs tâches essentielles, dont notamment la supervision du vote par correspondance lors de la prochaine élection présidentielle américaine. Même si la crise sanitaire s’améliore considérablement d’ici novembre, plus d’Américains que jamais voteront par la poste. Dans le magazine New York Review of Books, le directeur juridique national de la American Civil Liberty Union, David Cole, soutient que les états doivent rendre plus facile la soumission des bulletins de vote depuis domicile : « Rendre plus facile le vote par correspondance pendant la pandémie est dans l’intérêt de la démocratie et de la santé publique. Mais plus fondamentalement, c’est constitutionnellement exigé. »

 

La pandémie de Covid-19 n’a pas mis fin au mouvement contre la loi d’extradition et pour la démocratie à Hong Kong, explique Sebastian Veg sur le site de l’Institut Montaigne. Mais les élections législatives prévues en septembre seront pour les démocrates, aussi bien que pour Pékin, un moment clé pour déterminer la suite de la confrontation. Le mouvement démocratique a une opportunité de gagner une majorité législative, ce qui pourrait le mettre en position d’obtenir des concessions importantes du gouvernement central. Pékin et l’exécutif hongkongais font tout pour éviter ce résultat : arrêtant des personnalités politiques du mouvement, et « disqualifiant » des élus. Même si Pékin intervient de plus en plus ouvertement dans la vie politique de Hong Kong, les opposants de ce mouvements n’osent pas – pour l’instant – relancer le débat sur l’Article 23 de la Basic Law : ce qui permettrait le gouvernement central de transposer en droit hongkongais ses priorités de sécurité nationale, et ce qui assurerait une nouvelle vague de manifestations massives.

 

Après la crise sanitaire, la crise économique. Comment lui faire face ? Selon Thomas Piketty, il est impératif de relancer l’économie de l’Union Européenne dans une direction juste et écologique. Dans un article pour Le Monde, Piketty explique qu’il faut tout d’abord adopter un taux d’intérêt commun pour tous les pays de l’Union. Ensuite, l’Europe doit se montrer prête à investir dans la santé et l’environnement, tout comme elle s’est montrée prête à investir dans ses banques après la crise financière de 2008.

 

Dans un texte publié en anglais (chez Critical Inquiry) et en français (chez AOC), Bernard Harcourt plaide pour un nouveau paradigme juridico-économique: le « coopérationisme ». Il s’agit de remplacer le « code du capital » existant (selon la phrase de Katharina Pistor), c’est-à-dire la structure juridique qui permet aux entreprises multinationales de profiter de la misère de la majorité, subventionnées par des élus qui cherchent tous à distribuer plus de richesses aux riches que leurs concurrents. Il ne suffit pas de réformer les impôts ou mieux financer les hôpitaux ou les écoles : pour survivre à la pandémie et sauver la planète, il faut remplacer cette structure avec de nouvelles institutions économiques : « des entreprises coopératives, mutualistes et à but non lucratif ». 

 

L’on dit souvent aujourd’hui que la lutte contre la Covid-19 est une « guerre » (comme l’a dit, par exemple, Emmanuel Macron). Pour l’historien Patrick Weil, elle ne l’est point, mais nous avons néanmoins des leçons à tirer de l’expérience de la Grande Guerre. Aujourd’hui, comme en 1914, nos dirigeants politiques et nos structures économiques n’ont pas été prêts pour une longue crise, qui nécessite une coordination extraordinaire de production et distribution de biens essentiels. C’est pourquoi des deux côtés de cette guerre, pour Jean Monnet comme pour Walter Rathenau, la planification économique est devenue un outil indispensable. Outil dont nous avons besoin aujourd’hui pour s’affronter aux crises sanitaire et écologique, et pour sauver l’Europe.

 

Dans le magazine The New Criterion, Anthony Daniels considère sa relecture des Souvenirs de la cour d’assises d’André Gide. Daniels, un psychiatre en milieu pénitentiaire à la retraite, doute que le système judiciaire ait beaucoup changé depuis 1914, quand Gide décrivit son expérience comme juré. Daniels ne considère avec aucune tendresse le crime, mais il considère les Souvenirs de Gide comme étant une opportunité pour nous demander comment nous définissons la culpabilité et ce que cela signifie pour les criminels—en particulier ceux qui sont pauvres ou malades mentaux—d’être jugés coupables.

 

Écrivant pour le Times Literary Supplement, Patrick Wilcken résume la longue carrière bien remplie de Claude Lévi-Strauss. Après avoir étudié la philosophie et le droit à la Sorbonne, Lévi-Strauss se tourne vers l’anthropologie. En tant que professeur dans des universités américaines ainsi que françaises, Lévi-Strauss a enseigné à plusieurs générations d’experts en sciences sociales comment appliquer la linguistique structurale aux réseaux humains. Pour résumer, le « structuralisme » de Lévi-Strauss consistait à passer du sens à la forme et depuis les individus jusqu’à un système plus large.

 

Emma Planinc se munit de la pensée de Hannah Arendt pour explorer le sens que prend la vie pendant le confinement, dans un article pour Medium. Arendt divise les activités humaines en trois catégories : le travail, l’œuvre, et l’action. Ce qui donne du sens à la vie, c’est l’action, c’est-à-dire le fait d’avoir un impact sur le monde partagé que nous avons construit à travers notre œuvre. Selon Planinc, ce monde partagé est exactement ce qui nous manque en ce moment, et son absence explique le sentiment nihiliste qui peut s’emparer de nous pendant le confinement. Les interactions digitales ne feront jamais l’affaire, conclut Planinc, mais heureusement notre monde partagé nous attend, même si nous ne pouvons savoir exactement quand nous le retrouverons.

 

De son côté, Pam Thurschwell s’attaque à un problème similaire grâce à la musique dans un article pour le journal Los Angeles Review of Books. À travers “Murder Most Foul” (par Bob Dylan), “American Tune” (par Paul Simon), et “Angel from Montgomery” (par John Prine), elle réfléchit à ce que la musique peut nous apporter par ce moment de pandémie.

 

Photo Credit: Pope Moysuh, via Unsplash.

 

Tags: , , , , , , , , , ,

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *