Revue de Presse : 15 novembre

15 November 2020

Le sociologue Farhad Khosrokhavar a publié dans Politico EU une critique de la « laïcité radicale » en France – ce qu’il compare à une religion d’État, même si cette religion est blasphématoire par essence – avant que l’éditeur du journal retire l’article, déclarant qu’il « ne répondait pas à nos normes éditoriales ». Le site Orient XXI, édité par Alain Gresh, republie l’article de Khosrokhavar en anglais et en français, avec des commentaires de Tom Theuns sur la liberté académique (l’un de nos contributeurs chez Tocqueville 21). Sur cette question, voir aussi le manifeste pour la liberté académique qu’Arthur Goldhammer a traduit sur ce site.

 

Selon Jean-Yves Pranchère, dans un entretien avec Fabien Escalona pour Médiapart, la laïcité n’a rien à voir avec les attentats terroristes récents, et ceux qui la prônent aujourd’hui le font principalement pour masquer une critique du libéralisme, des droits de l’homme et de l’État de droit démocratique. Par ailleurs, ils le font en contradiction avec l’esprit de la loi de 1905, et du républicanisme bien entendu. La conversation porte aussi sur la nature du républicanisme et du communautarisme, ainsi que les particularités de la laïcité française.

 

Donald Trump a perdu, mais il a quand même reçu environ 74 millions de votes – une augmentation de plus de 10 million par rapport à son score de 2016. Le trumpisme est donc loin d’être mort. Wendy Brown, une auteure bien connue des lecteurs de ce blog, essaie de comprendre chez AOC ce qui anime ces électeurs de Trump. Ce qui fait scandal chez les ennemis du président – le désastre du coronavirus sous son mandat, les accusations de harcèlement sexuel contre lui, son évasion fiscale, sa proximité avec des suprémacistes blancs … – ne leur pose pas de problèmes. Voter pour Trump, pour eux, c’est exercer une forme de liberté : liberté de refuser toute « norme », liberté de s’opposer au « socialisme » (c’est-à-dire le programme économique de Bernie Sanders, mais également à l’égalitarisme du mouvement Black Lives Matter), liberté d’être « politiquement incorrect », liberté de ne pas porter de masque. Si Biden a gagné, cela ne veut pas dire qu’il a réussi à proposer une idée alternative de la liberté.

 

Samuel Moyn craint que les progressistes soient sur le point de plonger tête baissée dans un bourbier. Son article pour la New York Review of Books souligne que les ambitions autocratiques de Trump ont échoué. Les contrepouvoirs institutionnels ont rendu sa présidence « fragile » et « paralysée ». Pourtant, Trump a réussi à faire sauter le Consensus de Washington sur le libre-échange et la construction de l’État, alors même qu’il invitait une guerre froide avec la Chine. Biden et son administration devront réfléchir prudemment à ce qui succèdera au néolibéralisme, de peur que les Américains ne se retrouvent dans une nouvelle série de guerres.

 

C’est la question que l’on se pose depuis 2016 : Trump est-il fasciste ? La victoire électorale de Joe Biden ne mettra pas fin à ce débat, qui continue dans les revues et sur Twitter. Mais pour Alberto Toscano, la fixation sur le mot « fascisme », associé à des mouvements autoritaires en Europe, obscurcit les racines historiques américaines du phénomène Trump. C’est dans l’histoire afro-américaine anti-fasciste, antérieure au fascisme européen, qu’il faut chercher les outils pour comprendre le présent. L’idée du « fascisme racial », articulée par George Padmore, Langston Hughes, W.E.B. Du Bois, et après Cedric Robinson, Bobby Seale, Angela Davis, et Amiri Baraka, identifie les liens entre le colonialisme, l’esclavage et le racisme, qui sont au coeur de l’esprit réactionnaire américain.

 

Dans sa dernière édition de « Philosophy On », le site Daily Nous interroge des philosophes politiques sur ce que nous pouvons apprendre de la présidence Trump. Regina Regi note que l’électeur « timide » qui vote pour Trump pose de vrais problèmes épistémiques et éthiques à la démocratie : si ces électeurs mentent vraiment aux sondeurs (une question sur laquelle se pencheront longtemps les politologues), comment sommes-nous censés participer à la délibération démocratique ? Pour Gina Schouten, sauver la délibération exige de donner à nouveau la priorité au soin. Les progressistes peuvent être déçus et en colère, mais ils doivent éviter d’être trop ouvertement satisfaits. Alex Guerrero dit qu’il est trop tôt pour savoir si les électeurs de Trump sont des déplorables moraux ou des réformables épistémiques. Espérons qu’il s’agit de ces derniers. Dans ce cas, promouvoir des ressources éducatives et informatives partagées devrait être notre plus grande priorité.

 

Qu’est-ce qui pourra unifier les Européens une fois que Trump quittera ses fonctions ? Tom McTague remarque dans le magazine The Atlantic que de nombreux dirigeants du continent s’inquiétaient déjà du sort de l’alliance transatlantique avant 2016—et Trump leur a donné une raison de plus pour penser que l’« autonomie » stratégique était nécessaire. Même sans les menaces constantes de Trump contre l’OTAN, il est probablement trop tard—et trop risqué—pour les Européens de revenir au statu quo.

 

Suite aux accords facilités par Moscou, l’Azerbaijan sort victorieux du conflit armé avec l’Arménie dans la région du Nagorno-Karabakh. Pour les Arméniens, c’est un désastre, qui rappelle l’histoire du génocide de 1915, car l’Azerbaijan est un allié de la Turquie d’Erdogan. Ben Judah, dans Politico, demande où est l’Union européenne dans tout ça ? Pourquoi l’UE n’a-t-elle pas eu de plan pour prévenir les guerres territoriales en Europe ? Et pourquoi n’a-t-elle rien eu à redire quand une telle guerre a eu lieu ?

 

France Info et The Conversation sondent chacun des réactions à la nouvelle sculpture de Mary Wollstonecraft, féministe radicale du XVIIIe siècle, qui a été dévoilée cette semaine dans le nord de Londres. La fabrication de cette œuvre a duré une décennie, et la statue a coûté 143 000 £. L’artiste, Maggi Hambling, dit qu’elle avait l’intention de représenter Wollstonecraft comme une « femme ordinaire » rebelle, mais d’autres critiquent le choix de réduire Wollstonecraft à une forme féminine nue. La controverse témoigne d’un débat plus fondamental sur la manière dont nous représentons et honorons les intellectuelles féminines. En tant qu’auteur de A Vindication of the Rights of Women, Wollstonecraft n’était certainement pas étrangère à la controverse.

 

Photo Credit: Markus Spiske, via Unsplash.

 

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