Revue de Presse: 15 décembre
Emmanuel Macron se veut un président « progressiste » et « modernisateur ». Dans un entretien pour l’Atlantico, Luc Rouban et David Sessions (qui a écrit pour Tocqueville 21 sur l’oeuvre d’Alain Touraine) explique les origines de ce discours dans la théorie de la modernisation typique de la période d’après-guerre. Cette théorie va de pair avec la technocratie, soit keynésienne, soit néolibérale. Dès les années 1950, les penseurs « modernisateurs » français s’imagine que leur pays ait du « retard » par rapport au Royaume-Uni ou les Etats-Unis, et leurs projets de réformes risquent d’inspirer des réactions « populistes ».
Avec la mondialisation, les révolutions technologiques, et le pouvoir des multinationales, l’on ne peut plus concevoir la politique étrangère et la politique intérieure come des sphères distinctes, comme Ben Judah et David Adler l’explique dans un article pour The Guardian. Dans un monde où le gouvernement américain permet aux entreprises d’amasser de vastes fortunes dans des fonds offshore, aux dépens des américains ordinaires, l’idée d’un intérêt national homogène est une farce. Les candidats pour l’investiture démocrate à la présidentielle américaine ne comprennent pas suffisamment ces nouvelles dynamiques, même si certains sont plus au courant que les autres. Ils avancent ensuite dans un article pour Le Monde que les États-Unis ne sont pas seuls dans leur embarras. L’Union européenne – avec son marché unique et la division qui existe entre ses institutions nationales et supranationales – est elle aussi vulnérable face aux kleptocrates étrangers qui interfèrent dans les élections et soudoient les politiciens. Selon eux, il faut absolument créer des institutions pour faire face à la corruption et au blanchiment. Mais pour ce faire, il faut d’abord reconnaître que les politiques domestiques et étrangères sont dorénavant inséparables.
Dans Age of Revolutions, Blake Smith résume les idées de Durkheim à propos de la Révolution française, ainsi que leur adoption par l’historienne Lynn Hunt. Selon ces deux penseurs, la Révolution française est un événement sacré, une source de rituels, un esprit qui reste avec nous de nos jours. Pour la comprendre, il faut laisser de côté la théorie du choix rationnel, et penser aux effervescences collectives. Mais il n’est pas uniquement question de la Révolution française, car le spirituel est à la base de toute révolution, et même de chaque action politique.
Julius Krein, rédacteur en chef et fondateur de American Affairs, soutient que la « classe ouvrière » possède de moins en moins de pouvoir électoral. En effet, les principales divisions politiques aux États-Unis opposent les groupes distinct au sein de « l’élite ». D’un côté, on trouve les 0,1 pourcent des plus riches, qui tirent leur revenu des gains en capital ; de l’autre côté, les 10 pourcent, des salariés « cols blancs » dans des secteurs lucratifs. L’avenir de la politique américaine dépendra de la manière dont cette deuxième élite choisit d’exprimer ses désirs et ses angoisses.
The Atlantic publie des entretiens avec deux des partisans les plus engagés de l’évangélisme anglophone, N.T. Wright et Timothy Keller, pour explorer la relation entre le christianisme et notre politique contemporaine. Wright, théologien britannique et évêque anglican à la retraite, explique à Emma Green que le Nouveau Testament est un « livre politique glorieusement riche », mais en même temps difficile à assimiler aux catégories politiques actuelles aux États-Unis. Timothy Keller, connu pour avoir servi comme pasteur en chef du Redeemer Presbyterian Church à Manhattan, note la tentation pour les chrétiens de devenir « incarnés dans la culture », et donc capturés par la politique. Comme Keller le dit à Peter Wehner, voir la religion à travers l’angle de l’esprit partisan est un « manque d’imagination et d’herméneutique ».
Pour le magazine The Point, Tobias Hakerborn s’entretient avec William Davies, auteur du nouveau livre Nervous States: Democracy and the Decline of Reason [États nerveux: la Démocratie et la chute de la Raison]. Davies, professeur d’économie politique à Université de Londres Goldsmiths, observe la façon dont les métaphores de la guerre, du contrôle et du mal dominent notre discours politique. Suite aux bouleversements du libéralisme traditionnel, l’on aborde rarement la politique en termes de liberté personnelle ou d’amélioration économique. De plus en plus, les personnes qui vivent en marge de la société cherchent le sentiment de maîtriser un monde qui semble hors de contrôle.
La liberté d’expression est l’un des droits fondamentaux inscrits dans le premier amendement à la Constitution des Etats-Unis… et aussi l’une des principales armes de la droite américaine pour démanteler la régulation des entreprises. Dans la Boston Review, Amy Kapczynski raconte l’évolution de la jurisprudence conservatrice qui cherche à protéger des grandes sociétés contre la « discrimination » des législateurs, et des atteintes à leur droit de « s’exprimer » par des publicités. Pour la droite, faire de la Constitution un bouclier du marché est nécéssaire pour qu’elle soit « un gardien de la démocratie ». Avec une nouvelle classe de juges nommés par Donald Trump, les Américains peuvent s’attendre à ce que cette dénaturation de la liberté d’expression continue…
Photo Credit: Françoise Foliot, Kiosque à journaux, via Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0.