Passé mythique, présent introspectif — Revue de Presse : 16 décembre 2021

16 December 2021

« Le char funèbre de Napoléon se dirige vers les Invalides, le 15 décembre 1840 »

 

Revue de presse du 16 décembre 2021.

« Oui ! suivez-moi, suivez-moi. Je suis le dieu du jour. » L’homme qui prononça ses paroles est en réalité devenu dieu d’un mois. Décembre, mois du sacre de Napoléon Ier en 1804 et de la bataille d’Austerlitz en 1805. Décembre, mois du retour des cendres de Napoléon à Paris en 1840. Décembre, également mois du coup d’État de son neveu Louis-Napoléon Bonaparte en 1851 — date choisie intelligemment. L’empreinte napoléonienne est partout en fin d’année. C’est à cette occasion que la Fondation Napoléon a ressorti un dossier sur le retour des cendres du 15 décembre. Parmi les articles sélectionnés, un splendide récit de Napoléon érigé en mythe dans l’œuvre d’Honoré de Balzac. Napoléon, « homme auquel, par un rare privilège, la nature avait laissé un cœur dans son corps de bronze … » Enfin, on apprend que Napoléon aurait même involontairement marqué l’histoire d’un chant de Noël, « Peuple fidèle » (“O Come, All Ye Faithful”) !

 

Or, loin d’être uniquement une période de célébration de nos héros, la fin de l’année fournit aussi un moment d’introspection. À cet égard, la presse a jeté un regard scrupuleux sur deux de nos grandes figures. L’expert weilien Eric Springsted a commenté le nouvel ouvrage de Robert Chenavier, Simone Weil, une Juive antisémite ? Éteindre les polémiques (2021). Exercice délicat, il fournit cependant une critique sophistiquée de cette philosophe qui était hyper-sensible à la souffrance humaine, mais qui ne « s’identifiait » aucunement à ses propres origines juives. Car, résume-t-il la position de Weil, « si l’on nous fait souffrir pour une chose que nous percevons comme étant accidentelle … l’absurdité du hasard commence à se profiler ».* Néanmoins, comment expliquer les nombreux propos sévères qu’elle a tenus ?

 

Seconde grande figure mythique examinée à la loupe : le général de Gaulle, et en particulier « De Gaulle vu par les juifs », dans une enquête approfondie de la sociologue Dominique Schnapper. Au cœur de la controverse se trouve la conférence de presse du 27 novembre 1967, dans laquelle le Général choqua l’opinion en s’exprimant sur la guerre des Six Jours. « Le fait que ces mots aient été prononcés par l’homme du 18 juin rendait l’interrogation plus douloureuse », explique-t-elle. En 1968, Raymond Aron — père de Schnapper — avait déjà débuté l’analyse dans un livre intitulé De Gaulle, Israël et les juifs. Mettant les faits à jour, Schnapper s’efforce à dresser un portrait complet du Général, rappelant la conviction dreyfusarde qu’il partageait avec son père Henri de Gaulle, et les longues années qu’il passa auprès de son mentor le colonel Émile Mayer, ainsi qu’auprès de son proche collaborateur René Cassin. Résumant ensuite de façon minutieuse les divers points de vue sur le « ‘malentendu’ » de 1967, elle semble rejoindre toutefois ceux qui « espèrent encore retrouver ce qu’ils ont perdu » du Général de l’année 1940.

 

Tournons-nous désormais vers l’avenir : dans son blog « La voie de l’épée », l’historien et colonel Michel Goya se livre à une réflexion philosophique sur notre façon d’appréhender le futur. Ce ne serait qu’à partir de 1834 avec Le Roman de l’avenir de Félix Bodin que nos sociétés — ou du moins la société française — ont commencé à réellement anticiper un futur distant et méconnaissable. L’armée, fait permanent des États, en est l’exemple le plus pertinent.
« Pour préparer la guerre future, les militaires vivent au présent dans un temps de guerre imaginaire …  Le problème est que la vision qu’il vont produire institutionnellement parlera peu de politique, or la guerre c’est de la politique ». Afin d’éviter tout piège, il s’agit d’avoir une vision équilibrée et d’imaginer des « futurs exclus ». Ceci implique ne pas surestimer le rôle des inventions futuristes — qui arrivent souvent plus lentement que prévues — tandis que le grand danger des « ruptures » politiques frappe de façon soudaine et inattendue.

 

Passé mythique, présent introspectif, avenir déroutant — tout compte fait, des lectures passionnantes !

 

*Ceci est ma propre traduction de la citation d’Eric O. Springsted.

Photo Credits: Image d’Adolphe Jean-Baptiste Bayot et Eugène Charles François Guérard, Musée de l’Armée, Paris (Domaine Public) via Wikimedia Commons.

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