Ces Démocrates qui ne veulent pas gouverner

21 October 2020

Chaque lundi avant le 3 novembre, je publie une tribune dans l’Humanité sur l’élection présidentielle aux États-Unis. Chaque tribune sera republiée ici le mercredi. Voici le troisième article, publié le 19 octobre.

 

« Ces auditions ont été les meilleures de ma carrière. Je vous remercie, Monsieur, pour votre justesse et cet échange constructif. Cela me donne de l’espoir. » Ces mots ne sont pas ceux d’Amy Coney Barrett – juriste catholique d’extrême-droite nommée à la Cour Suprême – ni d’un membre du Parti républicain quelconque, mais de Dianne Feinstein, sénatrice démocrate. Elle les a prononcés avant d’embrasser, sans masque, Lindsey Graham, président républicain du comité judiciaire du Sénat. Graham s’efforce d’assurer la domination des conservateurs sur les cours fédérales, jusqu’à faciliter ces auditions accélérées pour remplacer Ruth Bader Ginsburg avec une partisane trumpiste. Pourquoi, donc, Feinstein, l’une des élues les plus importantes du parti d’opposition, n’a-t-elle que des mots élogieux pour cet adversaire et le processus bidon qu’il a supervisé ?

 

Pour répondre à cette question, il faut d’abord expliquer qui est Dianne Feinstein, cette femme emblématique de l’impuissance du Parti démocrate contemporain. Âgée de 87 ans, sénatrice californienne depuis 1992, elle atteint le sommet de sa carrière au moment où les idées de gauche sont plus marginales que jamais aux États-Unis. La leçon que les démocrates ont tirée des années Reagan, c’est que la droite représente une majorité permanente – que l’homme blanc et petit-bourgeois, hostile aux impôts comme aux minorités ethniques, est l’Américain par essence.

 

Dans les années 1990, résignés à l’idée que le programme républicain était le seul que le peuple américain accepterait, les Démocrates se sont donnés pour mission d’appliquer ce programme plus efficacement que les Républicains eux-mêmes. Feinstein a vite excellé dans ce domaine, collaborant avec le gouverneur républicain de Californie sur des mesures draconiennes contre les sans-papiers : collaboration qu’elle réactivera au cours des années 2000 à l’échelle fédérale.

 

Tout au long de sa carrière, Feinstein a toujours choisi de s’allier avec la droite plutôt qu’avec la gauche, pour laquelle elle n’a manifesté que du mépris. Quand, au cours des années 1990, des militants ont demandé plus de droits en faveur des sans-papiers mexicains de Californie, elle les a qualifiés de « politiquement corrects », et a expliqué, de concert avec la droite xénophobe, que l’immigration représentait un danger criminel. Plus récemment, prise à partie par de jeunes activistes écologistes, elle a fermement rejeté l’idée d’un Green New Deal. C’est trop cher, leur a-t-elle expliqué, mais plus important, « il n’y a pas un seul Républicain qui votera en faveur de ce projet ».

 

Feinstein et sa génération au sein du Parti démocrate – dont Nancy Pelosi et Chuck Schumer au Congrès, et bien sûr, Joe Biden éventuellement à la Maison blanche – ont passé leurs carrières politiques à se cacher derrière la droite républicaine. S’ils arrivent au pouvoir en 2021, ce sera parce qu’une majorité d’Américains veut un programme de gauche. Dans ce cas, ces Démocrates n’auront nulle part pour se cacher.

 

Photo credit: Edward Kimmel via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0)

 

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