Focus : Slow Démocratie

23 June 2020

L’« euphorie » de la mondialisation est derrière nous. Après quatre décennies d’exaltation d’un monde plus ouvert, prospère, interdépendant et interconnecté – une terre plate, une planète sans frontières – force est de constater que cette vision était une mirage. Nous qui avons vécu la crise financière de 2008, la crise démocratique à partir de 2016 et les multiples crises écologiques et sanitaires à venir, ne pourrons jamais revenir à l’heureuse mondialisation des années 1990.

 

Si David Djaïz commence son livre Slow Démocratie avec une telle observation, ce n’est pas la fin de son histoire. Pour Djaïz, tout le monde sait que la mondialisation produit des crises calamiteuses, mais cependant, on refuse d’en tirer « une grande introspection sur l’avenir commun du capitalisme et de la démocratie ». C’est la tâche qu’il se donne dans Slow Démocratie. À la fois histoire et manifeste, le livre de Djaïz explique en premier lieu comment la mondialisation, par étapes successives, a produit ces crises : en démantelant l’ordre réglementaire et démocratique de l’Après-guerre ; en créant des supply chains transnationales et des nouvelles structures juridiques pour encourager l’échange avant tout ; et en accélérant des mouvements du « national-populisme » et indépendantismes territoriaux, ainsi que des conflits géopolitiques sur la question de la dette souveraine.

 

Mais deuxièmement, Djaïz propose une solution qui va à l’encontre des courants de la gauche progressiste (qui est pourtant sa propre famille politique) : un retour à l’idée de la nation. Pour Djaïz, la gauche contemporaine a adopté à tort le slogan Think Locally, Act Globally, ce qui n’a aucune place pour une « forme politique capable d’abriter démocratie, liberté individuelle, cohésion sociale et territoriale ». Si Djaïz propose un « retour » à la nation, il ne s’agit en rien d’un retour aux nationalismes, comme l’ont voulu plusieurs mouvements contemporains, surtout à l’extrême-droite. L’auteur n’est pas tenté par les mythes de la grandeur nationale, ni de la séduction identitaire. Le projet de Slow Démocratie est de réimaginer la nation comme un cadre politique capable de subvenir aux besoins et aux désirs de la collectivité démocratique post-néolibéral, une forme institutionnel entre le local et le supranational indispensable pour organiser des projets de social-démocratie écologique.

 

Dans la première intervention de notre échange, les philosophes Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère interrogent les prémisses philosophiques de Slow Démocratie. Non seulement les deux auteurs doutent que l’on puisse attribuer les acquis de la démocratie social à « la nation », ni les transformations néolibérales aux excès du transnationalisme. Mais plus profondément, selon Lacroix et Pranchère, il est erroné de croire que la nation est une « forme politique », indépendante de son histoire politique, sociale, et intellectuelle. On ne peut pas donc dire ce que peut « la nation » – si elle est capable de faire ce que veut David Djaïz – sans savoir ce que son histoire et ses institutions sociales permettent.

 

L’historien Anton Jäger, dans la seconde intervention, salue l’effort de David Djaïz d’aller à l’encontre des idées reçues à gauche sur la nation, tout en refusant l’usage de cette dernière à la droite contemporaine. Pourtant, Jäger montre son scepticisme par rapport au portrait qu’esquisse Djaïz de l’Union européenne. Loin d’être une vaste bureaucratie hyper-mondialisée et post-démocratique, Bruxelles est une configuration d’institutions relativement modestes, mais qui permettent aux élites des Etats-membres de freiner la démocratie nationale. Jäger est d’accord avec le constat de Djaïz que la démocratie devrait être « ralentie », Mais comme Lacroix et Pranchère, il insiste sur le fait que la source de son accélération se trouve dans l’Etat-nation même.

 

Lisez la réponse de David Djaïz ici.

 

Photo Credit: Allary Editions, Fair Use.

 

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