État et démocratie aux Etats-Unis

15 November 2022

** Ceci est la deuxième critique du livre New Democracy par William Novak. Elle est la seule en français. Les autres sont rédigées en anglais.

This is the second in a series of four reviews of William Novak’s recently published book New Democracy: The Creation of the Modern American State.

Each day this week one review will be published, and Novak will then respond on Friday. Yesterday, we published a review by Laura Phillips-Sawyer (University of Georgia Law). **

Les recherches de William J. Novak témoignent depuis plusieurs décennies de la vitalité des interrogations sur l’histoire politique des États-Unis en prenant au sérieux les enjeux juridiques, administratifs et d’action publique. Son dernier livre, New Democracy. The Creation of the Modern American State était très attendu et il ne déçoit pas! Plusieurs lectures en sont possibles : certaines concernent l’histoire américaine, d’autres sont plus générales et interroge le fonctionnement de l’État et des pratiques démocratiques.

Prenant la suite chronologique d’un précédent volume (The People’s Welfare: Law and Regulation in Nineteenth Century America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996), ce livre couvre la période d’après la guerre de sécession (civil war) jusqu’au début des années 1930 et articule une approche juridique et historique des formes de l’action publique tout en proposant une réflexion plus large à la fois théorique et pratique sur les formes de la démocratie. L’auteur explique nettement le pas de côté qu’il propose par rapport à l’historiographie traditionnelle en expliquant son choix de concentrer l’analyse sur certains objets : « The chapters of this volume bear witness to this alternative emphasis. In place of contract, property, and tort as the central building blocks of American legal modernity, New Democracy is built around the public law categories of citizenship, police power, public utility, social legislation, antimonopoly, and administrative law. » (p. 15) On comprend ainsi que son analyse ne se limite pas aux débats d’idées mais se confronte aux formes sociales et politiques qui caractérisent le fonctionnement de l’État en Amérique.

Six chapitres très denses articulent la démonstration. Le premier sur la citoyenneté revient sur une question classique avec les enjeux raciaux après le milieu des années 1860, en montrant comment la guerre a questionné les conceptions mêmes de la citoyenneté et des droits afférents et comment ces luttes ont construit une nouvelle vision de la nation et de sa Constitution. Le deuxième chapitre, avec une citation du juriste français Léon Duguit en exergue, présente les réflexions savantes sur la réorganisation de l’État et les transformations du droit public américain. C’est dans ce cadre que Novak analyse le « myth of Lochner » en revenant sur les interprétations de la décision de la cour suprême des États-Unis pour Lochner v. New York en 1905.

Les trois chapitres suivants s’affrontent aux enjeux économiques et sociaux avec d’abord une réflexion sur l’utilité publique autour de la régulation des entreprises (en particulier pour les compagnies ferroviaires avec l’enjeu d’une intervention fédérale et à distance de la corruption politique). Le quatrième chapitre étudie les changements dans le fonctionnement de l’État-providence et les débats autour de « l’hygiène sociale » révélant de nombreux échos aux discussions animant alors les milieux de la réforme sociale dans la France du début du XXe siècle. L’avant-dernier chapitre s’affronte à la question des législations contre les monopoles en montrant comment débats académiques et mesures politiques se répondent. Il résume ainsi sa perspective : « The movements for antimonopoly, public utility, and unfair competition came together to form a new legal-political architecture for modern American economic regulation at both the state and federal levels. The modern legal, legislative, and administrative tools forged in the epic battles over railroads, monopolies, and corrupt business practices together moved the primary site of regulatory control beyond case-by-case limitations of common-law adjudication and corporate chartering. » (214).

Le sixième et dernier chapitre intitulé « Democratic Administration » réfléchit à la croissance de l’administration moderne américaine couvrant toute une série de champs économiques et sociaux et se confrontant à différentes échelles à la question de la corruption. La conclusion du livre propose ainsi une remise en perspective du moment New Deal en insistant sur le fait que l’action de Roosevelt, pour importante qu’elle ait été, se comprend aussi et même peut-être d’abord mise en perspective avec les formes de l’action publique développées et débattues depuis la fin du XIXe siècle.

On retrouve donc ici plusieurs des thèmes jadis évoqués dans un article de Novak au titre percutant : « The Myth of the « Weak » American State » (American Historical Review, 113, 2008, 752-772). L’introduction mobilise entre autres références (Michel Foucault est aussi évoqué) les travaux de Pierre Rosanvallon, en retenant en particulier sa définition large du politique qui y intègre les enjeux économiques et sociaux. On comprend dès lors que l’approche de l’État ne se limite pas à une simple description du fonctionnement de l’administration. Novak explicite ainsi cette vision : « Such a synthetic approach highlighted the state as something more than an administrative mechanism or an instrumental governmental apparatus just as the political involved so much more than partisan competition for institutionalized power. » (11-12) Loin des approches de certains auteurs de sciences sociales marquées par une phobie de l’État dans une veine anarchiste plus ou moins explicite, l’enjeu est bien ici de penser la possibilité et surtout les formes d’expression historiques d’un État démocratique. Non pas pour écrire une histoire irénique mais bien pour constater qu’au XXe siècle, certaines législations sociales et économiques ont accompagné l’essor des sociétés démocratiques.

Un intérêt supplémentaire, au-delà de la richesse des chapitres et des cas abordés, réside donc bien sans doute dans le lien fait par l’auteur entre l’histoire de l’État et celle de la démocratie. Sa relecture des œuvres de John Dewey ou de James Tufts mais aussi de Walter Weyl nous rappelle l’ampleur et l’intérêt des débats sur la démocratie au début du XXe siècle et donne envie au lecteur de mieux connaître une richesse d’échanges intellectuels encore un peu méconnus en France.

 


Alain Chatriot is a Full Professor at Sciences Po, Paris who specializes in the History of the State, administration and economic and social policies, and the History of the Third Republic.

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