La France cherche son gouvernement
Tribune
« La Révolution a fondé une société, elle cherche encore son gouvernement. » Le journaliste Prévost-Paradol composa cette phrase en 1868, et dans l’attente des prochaines élections législatives, celle-ci n’a guère perdu de sa force. Un temps, les Français de droite comme de gauche virent dans le gaullisme « une sorte de donnée permanente », un courant national unificateur auquel ils pourraient à tout moment avoir recours. Mais le gaullisme peut-il perdurer sans son chef ? N’a-t-il pas, peu ou prou, disparu de la scène politique française ? À sa place, quel gouvernement pour les Français ?
Le 21 mai 1940, maintenant voici 82 ans, le colonel Charles de Gaulle prononça son premier appel à la résistance depuis un champ de bataille dans la Marne — son 18 Juin avant l’heure. Alors que l’Armée française subissait une déroute, le colonel affichait la foi en ses nouveaux chars et en ses hommes. « Tous ceux qui y servent, général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d’un tel instrument … Grâce à cela, un jour nous vaincrons sur toute la ligne. » Cet appel, largement inconnu, caractérise en partie le « gaullisme » à devenir : l’union des classes sociales, le patriotisme, la confiance dans la technologie et l’innovation, et surtout l’incarnation d’un optimisme total, professant que la France renaîtrait même quand elle allait très mal.
Plus tard, à la veille du second tour de la présidentielle en 1965, de Gaulle annonça à ses proches : « Il faut croire à la France. Dans trente ans, trente-cinq ans, elle ressuscitera peut-être. … C’est alors que les Français redeviendront, ou deviendront, vraiment gaullistes. » L’an 2000 passé, il est difficile de dire que la France est véritablement «ressuscitée », ou que les Français sont redevenus « gaullistes ». Et pourtant, 65% des voix exprimées au 1er tour en 2022 allèrent vers des candidats du centre ou de la droite, les héritiers supposés « naturels » du Général.
Par conséquent, peut-être que les Français attendent en effet ce candidat gaulliste providentiel ; mais aucun des candidats des dernières années n’est véritablement gaulliste ni gaullien. Pour cela il manque, parmi plusieurs critères, une légitimité historique que seuls un chef de guerre et ses compagnons de route peuvent détenir, leur permettant d’entreprendre une transformation nationale. La guerre sur le territoire français n’est évidemment souhaitée par personne, et ainsi il faut sans doute admettre qu’on n’aura vraisemblablement pas un Bonaparte, un Clemenceau, ou un de Gaulle à la tête du pays dans un avenir proche. Alexis de Tocqueville ajouterait de surcroit que les sociétés démocratiques sont moins propices à la formation d’individus extraordinaires. Dans ces sociétés les individus sont plus égaux, et ceux-ci ont moins de panache. Un compromis à accepter.
Revue de Presse
Afin de mieux comprendre le cycle électoral actuel, il est absolument nécessaire de lire l’analyse rédigée par les historiens Michael Behrent, Émile Chabal, et par la journaliste Marion Van Renterghem pour Oxford University Press. Selon eux, les personnalités politiques françaises peinent à se rapprocher de leurs électeurs, et pour cause :
« Aucun des quatre premiers candidats aux élections présidentielles de 2022 ne peut se revendiquer d’un socle réel de pouvoir au niveau local. Le RN et Reconquête n’ont virtuellement aucune représentation au niveau local ; LFI a fait un peu mieux, tandis que le parti de Macron domine le Parlement mais ne détient aucune région et que quelques municipalités. La politique locale demeure plutôt dominée par les principaux partis du centre-droit et du centre-gauche, dont les deux candidats ont été complètement battus à l’élection présidentielle. » *
Néanmoins, le Gouvernement Borne du Président Macron met en avant certains profils intéressants, et il faut accorder le bénéfice du doute à chaque nouveau mandat. Par exemple, l’éminent historien et professeur Pap Ndiaye a été nommé ministre de l’Éducation nationale. En relisant un de ses articles pour Libération en 2016, nous apercevons certaines esquisses de son éventuel programme : « En général, les politiques n’ont cure des travaux de recherches en sciences humaines et sociales, et très rares sont aujourd’hui celles et ceux qui ont une culture historique. … La vie politique française tourne ainsi comme un yo-yo fou, entre un passé mythifié et un présent obscur. » Peu importe la conception du récit national de chacun, personne ne peut nier qu’une approche nuancée et valorisée à l’histoire dans l’enseignement supérieur est la bienvenue. La nomination de l’ambassadrice Catherine Colonna à la tête du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est également à souligner, apportant l’expertise et les connaissances internes d’une diplomate de carrière à un ministère secoué par la réforme de la haute fonction publique — comme en témoigne Le Monde.
Revenons enfin à Prévost-Paradol et à sa France nouvelle. Celui-ci constata tristement en 1868 qu’ « Il n’y a point de milieu pour une nation qui a connu la grandeur et la gloire entre le maintien de son ancien prestige et la complète impuissance. » Raymond Aron reprit ce même constat en juillet 1945, peu après les pires horreurs de la Seconde Guerre mondiale et le triomphe de la Libération. La mélancolie du chroniqueur comme de l’électeur est donc restée inchangée depuis cent-cinquante ans, sauf pour quelques sursauts. Quelles personnalités politiques faut-il pour un peuple éternellement nostalgique, souhaitant reproduire ce qui ne peut pas être reproduit dans une société fondamentalement différente ? Le véritable gaullisme, avant tout, était une capacité à s’adapter à son époque. Sans celle-ci, la France cherchera toujours son gouvernement.
Photo Credits: Le Palais du Luxembourg (1853), Rijksmuseum (CCO Public Domain), via Wikimedia Commons.
*Ma propre traduction.