Comprendre la “laïcité à la française” : Malentendus, mythes, réalités
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Par Catherine Audard et Cécile Laborde.
Le processus de sécularisation de la société française qui a commencé pendant la Révolution française et qui se poursuit de nos jours semble avant tout marqué par la confrontation. Les religions, le catholicisme en premier lieu et l’Islam depuis les grandes vagues d’immigration ensuite, étant désignées à tort ou à raison comme hostiles aux valeurs de la République, la liberté non respectée de choisir sa religion ou l’absence de religion, l’égalité hommes-femmes niée par l’Islam, mais surtout la fraternité, l’appartenance à une communauté religieuse empêchant la pleine citoyenneté, la totale allégeance à l’identité nationale et la construction d’ une « communauté de citoyens », pour reprendre l’expression de Dominique Schnapper.
Pour comprendre ce qui est spécifique de la laïcité à la française, il ne faut pas séparer historiquement le processus de sécularisation de la société du processus de construction de la nation française. C’est certainement ce lien entre sécularisation et identité nationale qui explique l’intensité des crises récentes liées à l’islamisme et au terrorisme et qui a trouvé des échos dans la majorité des travaux universitaires sur la laïcité.
Sur le plan théorique, l’interprétation de la laïcité française s’est principalement articulée autour d’un principe de séparation entre l’Église et l’État (proclamé au travers de la loi de 1905 mettant fin au système des cultes reconnus et étendant le droit à la liberté religieuse à tous les cultes présents sur le territoire). Toutefois, la notion de séparation a plus récemment acquis de nouvelles dimensions. Alors que d’autres pays – tels les États-Unis d’Amérique – privilégient la séparation comme protection de la liberté de religion, la laïcité contemporaine en France est souvent comprise comme une garantie de protection de l’État et de la sphère publique contre les empiétements du religieux.
La loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux dans les écoles a été le moment-phare de cette conceptualisation de la laïcité – auquel font écho les polémiques répétées, depuis, sur le port de divers types de voile musulman dans l’accompagnement des voyages scolaires, dans les crèches, à l’université, dans les piscines, voire dans la rue et dans les entreprises privées. Cette focalisation quasi exclusive sur le port de symboles de religions minoritaires a considérablement réduit le cadre interprétatif de la laïcité – qui, dès son origine, était envisagée comme un principe plus ambitieux d’autonomie mutuelle et de coexistence entre le religieux et le politique. La rhétorique de la séparation a aussi obscurci des développements récents tout aussi saillants, par lesquels le politique entend, non protéger, mais étroitement contrôler le religieux (comme en témoigne la loi récente confortant les principes de la République du 24 août 2021).
Le moment semble opportun, dès lors, pour une reconsidération de la place de l’idée de séparation dans l’histoire, la théorie et la pratique de la laïcité française. Dès que l’on s’intéresse de près à l’histoire de la laïcité à la française, à l’anthropologie des groupes concernés comme à la législation, on découvre une réalité infiniment plus complexe qu’un affrontement entre obscurantisme religieux et lumières républicaines, ou l’application stricte d’un principe de séparation ou de neutralité. Entre la rhétorique de la laïcité à la française et sa réalité concrète, la distance est fort grande comme le montrent les contributions de ce numéro, faisant appel à un ensemble de disciplines (histoire, sciences juridiques, sociologie et anthropologie) ainsi qu’à des comparaisons avec les États-Unis. (…)
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Ce texte est extrait de l’introduction au numéro de La revue Tocqueville intitulé “Comprendre la ‘laïcité à la française’ : malentendus, mythes et réalités” (Vol. 44, No. 2), paru en 2023. La revue est disponible dans son intégralité sur les sites de Project MUSE et de l’University of Toronto Press.
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