Octobre tonnerre, vendanges prospères ?
Revue de Presse:
« C’était tous les jours tempête. » Voici une expression qui saisit bien l’actualité internationale du mois passé, et que l’on doit à l’écrivain Jérôme Garcin.
Premier éclat de tonnerre : le décès de la Reine Élisabeth II, le 8 septembre dernier. Pour un Royaume-Uni déjà vacillant, ce fut le coup de grâce. Dans le Financial Times, l’historien Simon Schama s’interrogea : à quoi ressemblera le Royaume-Uni sans la Reine, elle qui parait indissociable du destin de son pays dans notre imaginaire collectif ?
Le décès de la Reine fut simultanément un émouvant moment d’unité nationale. Rappelant la capacité de la Reine à concilier toutes les classes et les peuples du Royaume, la Fondation Charles de Gaulle a publié un témoignage marquant sur le lendemain du couronnement de 1953. Dans ce récit, l’intellectuel et ministre Maurice Schumann décrivit une scène étonnante où la jeune monarque alla à la rencontre des Londoniens, sans la presse et sans la foule :
Élisabeth II parlait aux amies inconnues qu’elle rencontrait sur son chemin comme une femme à une autre femme, comme une mère à une autre mère. (…) Ce visage fin, doux et familier, était, à leurs yeux, celui d’une société perfectible, ordonnée et, au fond, bienveillante, qui reste bien intentionnée même quand elle est impuissante ou sévère, et dont il doit être possible de corriger les injustices par d’autres moyens que ceux de la violence.
Grâce aux diverses fonctions qu’il a exercées, Maurice Schumann (tout comme le général de Gaulle), était particulièrement bien placé pour conter aux Français des anecdotes de premier plan sur le gouvernement britannique et sur la famille royale. La biographe de Schumann relate d’ailleurs comment celui-ci — correspondant de l’Agence Havas à Londres dans les années 1930 — travailla de près avec Anthony Eden et Duff Cooper, éminentes figures de la diplomatie britannique. Il fut étonnamment le seul journaliste présent au mariage de Wallis Simpson avec le duc de Windsor (l’oncle de la défunte Reine), dans un château de l’Indre-et-Loire en 1937. À Londres, « voix de la France » sur la B.B.C. pendant la Seconde Guerre mondiale, il eût évidemment affaire aux chefs de gouvernements Alliés. Plus tard, le général de Gaulle honora lui aussi la Reine lors d’un discours à Buckingham Palace en avril 1960, évoquant le soutien clef apporté par la famille royale à la France Libre au temps des heures sombres.
Après cet éclat de tonnerre — parmi tant d’autres dans le monde ce mois passé — on ne peut en rien reprocher aux peuples de s’accrocher à des valeurs sûres ou réconfortantes. Dans le nouveau numéro de la Revue des deux Mondes, Thierry Moulonguet propose, lui, la revalorisation de la culture comme un des ressorts spirituels possibles face aux crises actuelles. « La culture … répond par nature à la quête éternelle des hommes et des femmes face aux grandes énigmes de la connaissance. » Or, comme le démontre Valérie Toranian dans le même numéro, la crise de l’éducation en France est un réel obstacle à un tel développement de notre culture. À l’école, « le score moyen en additions, soustractions et multiplications est passé de 250 à 176 points entre 1987 et 2017. Et le nombre de fautes par dictée de 10 à 17. » Perspectives inquiétantes.
Ultimes éclats de tonnerre, pour n’en citer que quelques-uns : détérioration de la situation énergétique, persistance de l’inflation, protestations en masse en Iran, changements gouvernementaux en Italie et au Royaume-Uni, guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le site du Grand Continent consacre notamment des analyses approfondies à ces dossiers, dont une étude remarquable sur le prochain Gouvernement de Giorgia Meloni en Italie, signée David Allegranti et Francesco Maselli. Ceux-ci soulignent les nombreux défis de la Présidente de ‘Fratelli d’Italia,’ et en particulier, « sur quoi sera mesurée sa capacité de mettre en œuvre un agenda techno-souverainiste, c’est-à-dire de tenir ensemble un agenda conservateur sur la politique intérieure et une certaine crédibilité auprès de l’establishment international et national. » Ces conjonctures mettent effectivement en cause le dicton « En octobre tonnerre, vendanges prospères ». Pour traverser la tempête, vers quelles valeurs sûres nous tourner ?
Droits d’image : The Fighting Temeraire par J.M.W. Turner (1838, Public Domain), National Gallery of Art.