Stanley Hoffmann, l’homme dual qui rentre à la maison

13 January 2018

par Olivier Duhamel, Président de la Fondation nationale des sciences politiques (SciencesPo  Reims, 25-IX-2017)

Dieu fasse que nous ne soyons jamais immortel. Que les hommes et les machines de demain nous pourvoient de deux, trois, plusieurs vies. Tout ce que nous gagnerions si  Stanley Hoffmann avait eu quelques vies de plus. Il en eût au moins deux, dont il sut ne faire qu’une.

Stanley était Français et Américain. Les soixante-cinq dernières années de sa vie, il ne fut qu’un Franco-amércain. Et de son identité personnelle, il fit une nouvelle branche de la science politique, les French Studies à Harvard.

Stanley Hoffmann était un politologue à deux spécialités, la France et les Relations internationales. Et de cette dualité il fit une unité, le Center for European studies à Harvard. Le visionnaire savait que la France ne resterait ou redeviendrait grande que par l’Europe.

« Où risque d’aller la France par rapport à ce qu’elle était en train de redevenir » ? tels sont les derniers mots de l’avant-dernière phrase du discours de De Gaulle le 23 avril 1961 lors du putsch d’Alger. Stanley Hoffmann aurait pu les prononcer lorsqu’il mit récemment en garde sur la montée du Front national. Notre homme dual a déclaré un jour qu’il essayait d’être à la fois gaulliste et mendésien. Emmanuel Macron  aurait-il lu Stanley Hoffmann.

Le grand traducteur Arthur Goldhammer lui a rendu hommage avec un bel article sur Slate le 15 septembre 2015. Ce qu’il fait dire à Stanley Hoffmann résonne étonnamment en ces jours. Imaginez juste qu’ils aient été prononcés il y a six mois : « Quel avenir choisiront les Français? Préféreront-ils (comme le Front national aujourd’hui) une société nombriliste, focalisée sur ses problèmes internes et autant que possible isolée des perturbations extérieures –une société donc rétrécie et contrainte à circonscrire ses ambitions– ou une société en mesure de revendiquer une place de premier rang parmi les nations du monde, quitte à être obligée de transformer de fond en comble ses relations sociales et rapports de force internes? ». Fin de citation. Ou remplacez Front national par  France Insoumise et imaginez qu’ils soient écrits aujourd’hui…

Si cela ne vous suffit pas pour saisir l’exceptionnelle actualité de Stanley Hoffmann, voici un second passage de l’article de Goldhammer : « Pour lui, à l’heure qu’il est, c’est surtout la qualité du leadership qui fait défaut en France. S’il négligeait (un peu trop à mon avis) le rôle des facteurs structurels dans la relative stagnation de ces dernières années, il ne se détournait jamais du «facteur humain». Mais ce n’est pas une série de fautes individuelles qu’il mettait en cause mais une série de fautes inhérentes au système politique et à l’appareil de l’État: la professionnalisation néfaste de la politique, la séparation excessive de la classe politique de la «vraie vie ». Et je pourrais continuer avec sa critique de l’Europe étriquée car trop économiste, et ne donnant pas leur juste, leur nécessaire place à la culture et à l’histoire, ou aussi sur son refus des lamento déclinistes, ou encore sur le défi des flux migratoires.

Si vous me permettez encore quelques mots avant de conclure, laissez-moi évoquer sa vision des relations internationales et du rôle que l’Amérique devrait y tenir en ces temps tourmentés. Si Trump sait lire, il devrait lire Primacy or World order, American foreing policy since the Cold war, écrit il y a quarante ans. Que ses meilleurs conseillers le fassent et tentent de  le convaincre que l’Amérique peut jouer un rôle considérable mais au service de l’ONU, pas en répudiant et en raillant le multilatéralisme.

Pour aimer les livres, Stanley aimait les livres. Un de ses rares regrets fut de n’en avoir pas écrit davantage. Sa bibliothèque, elle aurait pu être donnée ailleurs. Ou mise en vente. Il a été choisi de la donner à Sciences Po. Sciences Po où il fit ses études lorsqu’il quitta Nice pour Paris à la Libération. Sciences Po dont il sorti major en 1948. Sciences Po dont un amphithéâtre portera désormais son nom. À travers tes livres, Stanley, c’est toi que nous accueillons Stanley.  Ici à Sciences Po. Ici à Sciences Po, Reims, sur notre campus transatlantique. En somme, Stanley, tu viens de rentrer à la maison.