Hommage à Stanley Hoffmann
Stanley Hoffmann est décédé en septembre dernier. À la suite de ce triste événement, Sciences Po a décidé d’inaugurer sur son campus de Reims un nouvel amphithéâtre qui porte son nom et où a été installée la bibliothèque personnelle de Stanley Hoffmann dont ce dernier a fait don à Sciences Po. L’inauguration a eu lieu en présence de sa femme Inge Hoffmann. Nous présentons ici les interventions des personnalités qui l’ont bien connu dont celle de Arthur Goldhammer qui souligne son attachement à Alexis de Tocqueville, son maître à penser avec Raymond Aron.
Introduction par Arthur Goldhammer
Stanley Hoffmann, professeur émérite de l’Université de Harvard et grand intellectuel franco-américain, est mort dans la nuit du 12 au 13 septembre 2017. Né en Autriche en 1928, il a émigré en France avec sa mère au milieu des années 1930 et y est resté pendant les années noires qui auront profondément marqué sa pensée.
Diplômé de Sciences Po, d’où il est sorti major de sa promotion, il devint professeur à Harvard au milieu des années 1950, et là, il n’a pas seulement enseigné mais aussi incarné la culture et la pensée européennes pendant près de soixante ans. Bien que je n’ai jamais été son étudiant stricto sensu, j’étais fier d’appeler mon mentor et ami celui qui fut « l’un des grands professeurs du XXe siècle », dixit François Furet.
Au cours de sa vie, Stanley Hoffmann a publié une vingtaine de livres, dont certains concernaient la France, d’autres la construction européenne ou les relations internationales. Parmi les plus marquants on pourrait citer The State of War, Gulliver’s Troubles, Decline or Renewal? France since the 1930s, Primacy or World Order?, and The European Sisyphus. Qui plus est, Stanley a formé toute une génération de chercheurs dans chacune des disciplines qu’il a enseignées, que ce soit les relations internationales, les études européennes, ou l’histoire de la France.
Il ne fut pas de ces professeurs qui ne visent qu’à reproduire des copies conformes d’eux-mêmes. Aimant le débat, sceptique à l’égard de tous les systèmes, et ayant l’œil vif à l’égard des particularités du caractère humain, il aimait susciter les contradictions et encourager l’expression de tous les points de vue. Ses étudiants l’aimaient, et pour beaucoup d’entre eux il fut comme un père exigeant mais bienveillant. Amateur de la musique, des bons livres, et de la bonne chère, il parlait aussi souvent de Schubert que de De Gaulle, de Hélène Grimaud que de la dissuasion nucléaire, de Balzar ou de Balzac que de Tocqueville ou de Rousseau.
Ceci dit, il n’en reste pas moins que Tocqueville fut l’une de ses prédilections. À Harvard, où il a été l’un des fondateurs du cours prestigieux connu sous le nom de Social Studies, il réservait pour lui-même la séquence annuelle de conférences sur Tocqueville, qui fut avec Raymond Aron l’un de ces maîtres à penser.
Ce qu’il affectionnait surtout chez Tocqueville fut l’indétermination radicale de sa pensée. La démocratie n’est ni bonne ni mauvaise en elle-même. Tout dépend de ce que les hommes en font, de quelle manière ils saisissent ou pas les opportunités que l’histoire leur prodigue.
Pour Stanley comme pour Tocqueville le politique est dès lors le domaine de la contingence et de la chance plutôt que de la nécessité. Mais l’homme n’est pas obligé de se soumettre aveuglement à cette contingence. Il est capable de l’analyser et donc de se projeter dans l’avenir.
Avec Tocqueville Stanley a pu donc dire que pour un monde nouveau il faut une science politique nouvelle. C’est bien là la leçon qu’il voulait avant tout transmettre à ses étudiants, le fondement de cet optimisme de l’intelligence qui le soutenait dans les mauvais moments dont l’histoire – à la fois son histoire à lui et l’histoire de notre époque – n’était pas avare. C’est pour honorer cette relation intime entre la pensée de Stanley Hoffmann et celle de cet autre « pont » franco-américain Alexis de Tocqueville que nous publions ici ces souvenirs du grand professeur par ses collègues et amis.